Un poison que nul ne peut guérir...

[Suite un peu plus lointaine de : Le vent dans la plaine

L'orage n'avait pas suffit. Il avait presque souhaité recevoir un éclair sur le crâne pour remettre définitivement ses doutes à choses sans importances. Que lui avait-il prit de lui demander ça ? C'était tenter le diable. D'autant plus que Dragora n'allait sans doute pas vouloir de lui, à cause de son passé de fauteur de trouble. Après tout, qu'en avait-elle à faire de lui ? Il s'était rencontré sur l'instant, avait à peine partagé un peu de chaleur et de sentiment. Les sentiments... Il c'était bien gardé d'en avoir pour quiconque, et voila qu'en une seule fois il avait réduit à néant des années, que disait-il ! Des siècles d'effort acharné. Poussière, tout n'avait été que poussière.
Mais les vents violents et la pluie ne lui avait apportée aucune réponse. Alors il s'était battu plus férocement que jamais, défiant tout ceux qu'il rencontrait sur son chemin. S'il évitait soigneusement les dragons du clan du ciel, tout autre créatures ou individu tombant sous ses griffes n'y échappait pas. La rage, la colère, et une pointe de désespoir guidait ses pas. Il avait besoin de se dépenser, d'évacuer ce trop plein qu'il avait accumulait. Et ça marchait.

Jusqu'à son dernier combat, dans une forêt. Une chimtère. D'ordinaire, il les laissaient tranquille, n'aimant que peu le goût de ces créatures. Mais cette fois, la colère vibrant dans tout son corps l'avait a peine fait hésiter. Le combat avait été rude, et la créature à six patte ne s'était pas laissée faire. Elle avait finalement réussit à passer la cuirasse écailleuse, et ses crocs avaient transpercés les chaires. Réduire l'animal en charpie n'avait rien changé au reste. le venin avait pénétré dans son corps, et pour autant qu'il sache, il allait vraiment souffrir. Et bien tant pis, se disait-il sans conviction. S'il n'y échappait pas, ses problèmes étaient résolut, mais il y avait peu de chance qu'il y laisse la vie. La morsure était profonde, mais il avait éjecté l'animal dès qu'il avait sentit les crocs. Il n'avait pas trop de venin dans le sang, normalement.

Totalement calmé, presque serein, il s'était dirigeait vers les plateaux. peut être y trouverait-il Dragora. Il l'avait même appelé d'une voix impérieuse, puis plaintive. Puis il avait changé d'avis. La voir dans l'état n'était sans doute pas une bonne idée. Il s'était dirigée vers la lagune, et était sortit du couvert des arbres, l'étendue bleutés face à lui. Il sentait la fièvre s'emparer de lui, et il regrettait un peu sa solitude. Peut être viendrait-elle en l'ayant entendu. Mais il en doutait. Elle ne viendrait pas. Il s'avança vers l'eau, regarda son reflet. Il avait piètre allure avec ses nouvelles blessures. On aurait put croire qu'il était tombé dans une fosse remplie de ronce aux épines acérées. Mais quelques écailles manquantes et les traces de morsure prouvait bien la nature de ces blessures.
Il soupira, posa sa tête sur le sol, et sentit ses paupières se fermées doucement. Mais impossible de dormir. Le poison s'était rependu dans son sang, et commençait ses ravages. Il avait conscience d'être à découvert, et s'en fichait royalement.

Son regard se posa sur l'eau claire de la lagune. C'était apaisant. Il avait terriblement soif, mais se lever semblait chose impossible. Il se sentait plus tranquille désormais, comme débarrassé un instant de toute envie de se battre. Bien qu'il avait fait une chose terrible pour lui, il ne regrettait pas tant que ça. Compromettre sa liberté était une erreur s'il n'y avait rien pour soulager ce manque la. Il avait légèrement perdu le contrôle de la situation, et détestais ça. Mais jamais il ne revenait sur sa parole. Jamais.

[Pour Dragora, si elle le veut !]

Dans la grotte des plateaux, une atmosphère glaciale s'était installée entre Nidhögg et la dragonne blanche. Après une brève discussion raide et pointue comme un pic, le dragon vert s'était vivement dégagé du contact qu'il avait maintenu avec Dragora quelques instants auparavant. Celle-ci s'était alors sentie frustrée, en colère, même si elle ne pouvait pas vraiment expliquer pourquoi. Un voile courroucé avait caché ses yeux tandis que le grand mâle bafouait une "offre" : si elle le voulait, il pouvait devenir membre du Clan du Ciel pour plus de libertés dans leurs relations, supprimant ainsi ses propres libertés en temps que Solitaire. La Céleste avait baissé le regard, incapable de décider quoi que ce fût dans cette situation. Il s'était dirigé vers l'entrée. Qu'avait-elle fait ? Elle s'était conduite comme un membre du Clan du Feu, dirait-on. Pourquoi s'était-elle ainsi mise en colère ? Nidhögg avait pris son envol en même temps que les derniers espoirs de Dragora. Elle avait observé la tache verte faire quelques tours dans la vallée baignée de pluie et d'orage, puis disparaître.

Alors la dragonne avait laissé tomber sa tête sur ses pattes avant, exaspérée. Une vague de remords était parvenue à son esprit, mais il était trop tard. Pouvait-elle se risquer à lancer un appel au dragon vert pour le prier de revenir ? Ce serait humiliant pour elle. Son bonheur ne dépendait pas d'un mâle solitaire !

Dragora s'était levée après quelques instants de réflexion. Sa soudaine colère avait laissé place à une lamentable tristesse. La dragonne avait-elle perdu ce qui aurait pu être un ami, ou un allié potentiel ? Il avait pourtant dit qu'ils se reverraient.

Elle voulut sauter dans le vide à son tour pour trouver un abri ailleurs. Seule, elle se sentait étouffée par cette grotte sombre. De plus le bouclier d'air avait disparu et tout le volume du tonnerre n'avait pas tardé à s'abattre à l'intérieur et retentir contre les parois de pierre. Il fallait partir. Trop de souvenirs hantaient cet endroit.


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Après quelques temps à s'être réfugiée dans un bois, Dragora vit l'orage se ternir. Les nuages ne cachaient plus le soleil, une bonne nouvelle pour une Dragonne du Ciel. Elle sortit de son abri et fit quelques tours chez les membres de son clan. Mais sa tristesse se lisait sur son visage. Les dernières paroles de Nidhögg - de qui elle ne parla à personne - résonnaient toujours dans son crâne. Les interrogations de ses semblables ne faisant qu'aggraver la situation, elle était repartie. Personne ne devait savoir ce qui la liait au dragon fou.

Le hasard des vents la mena vers la lagune. Elle aimait bien cet endroit paisible, où les éléments cohabitaient en harmonie. Peut-être y trouverait-elle le calme nécessaire au bon rétablissement de ses neurones.

Dragora tendit ses ailes une ultime fois pour atterrir en douceur. Pas trop proche de l'eau. Celle-ci était claire mais on ne sait jamais. Elle marcha le long de la berge et dénicha un coquillage fondant qu'elle ne tarda pas à avaler. Une sieste au soleil semblait la meilleure chose à faire. Elle chercha une place confortable, et remarqua un grand rocher poli par l'érosion qui avait l'air agréable à toucher avec le dos. La dragonne s'avança tranquillement dans cette direction et se coucha sur le sol, le flanc contre la roche. La fraîcheur de celle-ci la fit frissonner. Cette sensation lui rappela soudainement les caresses de Nidhögg, qu'elle avait étrangement réussi à oublier, l'espace de quelques instants. *Le pouvoir de cet endroit est grand pour pouvoir ainsi me faire oublier mes soucis !*

Elle laissa reposer sa tête sur le sable chaud. Nidhögg. Que dire de celui-là ? Elle n'avait toujours pris aucune décision à son propos. Son instinct voulait la rapprocher de lui ; mais sa raison lui déconseillait de l'accepter dans les rangs des Célestes. C'était un problème cornélien.

Soudain, le bruit d'une respiration se fit entendre. Ce n'était pas celui de la dragonne de nacre. Elle se leva, chercha du regard d'où il pouvait bien venir. Elle se rendit d'ailleurs compte d'une odeur qu'elle n'avait pas remarquée auparavant. Un dragon était ici.

Et elle savait qui.

Bien qu'excitée de retrouver le grand mâle à qui elle devait quelques excuses, Dragora était aussi un peu effrayée : avait-il changé d'avis entre-temps ? S'était-il dit que la dragonne ne valait pas grand chose au final ?

Elle trouva assez vite l'objet de sa recherche. Il était là, non loin du rocher, mais de l'autre côté ; voilà pourquoi elle ne l'avait pas remarqué. Ciel ! Il ne semblait pas en forme. Dragora bondit de sa cachette et trotta vers le dragon vert, le coeur battant. Il était allongé au sol. Des écailles lui manquaient et des traces de morsures rayaient sa peau.

"Nidhögg," souffla la dragonne, plus par inquiétude que pour appeler.

Elle s'approcha doucement du grand mâle. Elle ne l'avait jamais imaginé capable de se mettre dans un tel état. Elle se demanda s'il accepterait de se faire soigner.

"Contre qui t'es-tu battu ?" chuchota-t-elle, inquiète. "As-tu besoin d'aide ?"

La soif se rappelait sans cesse à lui, comme un insecte nuisible et agaçant. Il rampa pour se désaltérer, grognant, et baissa la tête vers l'eau. Cependant, le geste mal contrôlé lui fit plonger la tête sous l'eau. Il se redressa brusquement, soufflant de l'eau par les naseaux, l'énervement le prenant brusquement. Mais sa colère disparut aussitôt qu'il vit la dragonne blanche s'approchait de lui. Un air content mais fatigué s'afficha sur son visage, tandis qu'il attendait qu'elle s'approche de lui, un peu trop longtemps, l'observant avec une certaine béatitude renforcé par le poison.

"- Dragora." Souffla-t-il en réponse, sans trop réfléchir à ce qu'il disait.

La tête lui tournait, et il ne perçu pas vraiment l'inquiétude de la dragonne. Pas comme il le fallait du moins. Il l'observa l'oeil vitreux quelques instants, puis se décida à parler. Il avait la bouche pâteuse.

"- Je s'plus. Plein d'chose. Un chimtère aussi. Sale bête."

Il se souvenait que du dernier ennemi parce qu'il avait été particulièrement ennuyé par les retombés du combat. Mais tout allait bien, elle était venue, malgré ses appels pitoyable et son état déplorable. Il eu une toux sèche, continuant de regarder Dragora avec douceur. Sa tête se balançait légèrement, tenant mal à cause de la grande fatigue qui l'envahissait.

"- Ca va pas ?" Il tendit une tête hésitante vers Dragora pour la toucher. Il ne chercha pas a attendre sa réponse. "- Faut pas. C'est pas bien...Je vais bien. Fatigué."

Il souffla doucement par les naseaux, semblant ignorer tout à fait les blessures de son corps. Il ne sentait plus rien, son corps était engourdi. Même sans le venin, il avait l'habitude d'être blessé, et la rage qui l'avait envahit lui avait permis de vaincre rapidement et efficacement. Il ne pensait plus à ces histoires de liberté, profitant de la présence de Dragora et de son contentement à l'avoir prêt de lui.

Il était clair que le dragon vert n'était pas en parfaite santé ; des traces de combat très visibles étaient parsemés le long de son corps reptilien. Sa vie était-elle en danger ? Dragora l'ignorait. Il n'avait pas l'air d'agoniser, mais la fatigue lui donnait des gestes parfois un peu brusques et incontrôlés ; sa tête se balançait comme en équilibre au bout de la perche qu'était son cou.

"Pose ta tête," ordonna la dragonne d'une voix tranquille. "Tu vas me donner le mal de mer à la balancer comme ça."

Aussitôt dit, elle mit délicatement une patte sur le museau de Nidhögg et le poussa sans forcer sur le sable du bord de la lagune. Une petit vague pouvait parfois venir mouiller les écailles vertes du grand mâle mais ce n'était pas un souci. A présent, le crâne du dragon vert reposait sur le sable, pour lui économiser les efforts de soutenir sa tête.

"Plein de choses ?" répéta Dragora. "Une chimtère ?"

La dragonne connaissait mal ces créatures mais savait qu'elles étaient dangereuses. Leur poison surtout, sécrété par des glandes de la mâchoire. Vu l'état du grand mâle en face d'elle, elle devina qu'il avait dû se faire mordre. Mais elle n'était pas capable de le guérir. Enfin... elle avait appris de ses entraîneurs guérisseurs ce qu'il fallait faire pour soulager une victime d'une morsure de chimtère.

Tandis qu'elle y réfléchissait, Nidhögg lui toucha le bout du museau, en bafouant quelques paroles qui se voulaient peut-être être réconfortantes. La dragonne sourit et repoussa de nouveau la tête du dragon vert avec son museau blanc.

"Repose ta tête, te dis-je !" chuchota-t-elle. "Tu dois te reposer."

Elle regarda autour d'elle, l'air un peu inquiète. Où pouvait-elle bien trouver... Ah ! Là-bas ! Elle se retourna vers le grand mâle et lança :

"Je reviens tout de suite avec des feuilles de saule. Tu verras, ça te fera du bien."

Elle n'attendait pas de réponse et volait le long de la berge de la lagune pour trouver un des arbres qu'elle cherchait. Par le passé, elle avait déjà eu affaire à des dragons réticents à recevoir des soins et sûrs de pouvoir s'en sortir tout seuls ; et avait appris à ne pas les écouter. Aussi, elle arriva sans encombre aux grands saules et en cueillit à la hâte quelques branches. Celles-ci bien calées entre ses pattes, elle revint en battant rapidement des ailes vers Nidhögg.

"Mâche donc ceci."

Poser sa tête par terre était une vrais torture. Mais il voulait complaire à Dragora, aussi, il accepta silencieusement le défit alors que tout l'amener à redresser l'encolure. On avait pas idée de faire des choses aussi haute de partout ! D'en bas, il voyait mal ce qui l'entourait. Il essaya d’acquiescer lorsqu'elle lui parla de Chimtère. Mais avec la tête par terre, le geste était difficile, et lui tira un grognement et une quinte de toux.
Il s'excusa piteusement lorsqu'elle le força à reposer sa tête. Il avait le geste sans penser, et sembler mourir d'envie de la lever encore et encore. Mais il fallait se reposer qu'elle avait dit, alors il le ferait. De léger tremblement l'envahir. Il faisait froid d'un coup. Il essaya de fermer les yeux pour dormir, le meilleurs moyen qu'il connaissait pour se reposer, mais il n'arrivait pas à se laisser aller, et d'autres quintes lui déchirait les poumons. Il abandonna l'idée, et redressa à nouveau la tête lorsqu'elle arriva avec des feuilles.

Il n'aimait pas les feuilles. Ca n'avait pas bon goût, ce n'était pas nourrissant. Mais il devait s'agir la d'un truc de guérisseur, bien qu'il n'en avait pas particulièrement besoin. Il avait vécu toute sa vie sans guérisseur, et pourrait très bien récupérer sans. Mais voila, il ne savait pas si elle le laisserait refuser, et puis c'était Dragora. Il voulait lui complaire.
Il happa docilement feuilles et jeunes branches, broyant le tout dans sa mâchoire avec force. Le goût était aussi horrible qu'il le pensait. Mais il garda les végétaux dans sa bouche, mâchant en reposant sa tête par terre. Mais les tremblements continuaient, la fièvre devenait plus rude, et il recracha ses feuilles au bout d'un moment en toussant, accompagnées de filet sanglant. Mais, en vérité, il n'en avait cure. Quelque chose l'intéressait bien plus qu'une simple bagarre qui avait mal tournée pour lui - et son adversaire, réduit en charpie à quelques lieux de la. Il redressa la tête.

"- Désolé..." Marmonna-t-il en reposant sa tête entre ses pattes. C'est que parler à quelqu'un sans le regarder était difficile. "- Tu es toujours... *toux* Aussi resplendissante." Que ce ne soit pas le moment lui importait peu. "- Comment va ton clan ? J'pensais pas te revoir... Dans ces conditions. As-tu... *Toux* Réfléchit ?"

Il s'allongea sur le côté pour l'avoir dans son champ de vision. A vrai dire, être allongée sur son flanc avait quelque chose de libérateur pour ses poumons en plus,et semblait épargner un peu ses pattes lassées par les combats.

Une expression de dégoût étira le visage de Nidhögg lorsque les feuilles de saule furent dans sa bouche, mais comme à son habitude, Dragora n'y faisait guère attention. Elle lui donna une à une les petites feuilles et les branchages. Elle se souvenait d'une jeune dragonne qu'elle avait ainsi aidée dans le passé... De quel clan était-elle déjà ? De l'Eau, de l'Air peut-être ; elle ne s'en rappelait plus.

Elle fut tirée de ses pensées en voyant le dragon vert tousser violemment en recrachant les feuilles au goût désagréable. Oui, Dragora était d'accord sur ce point. Elle-même avait déjà mâché ce genre de feuilles une fois, et ce n'était pas du tout premier luxe.
Un filet vermeille sortit de la bouche de Nidhögg par la même occasion. Dragora pensa qu'il fallait peut-être penser à réparer ses blessures externes, même si elle était impuissante face au poison.

Elle s'accroupit à côté du grand mâle toussotant. Celui-ci marmonna quelques paroles, demandant à la dragonne si elle avait réfléchi. Elle ne répondit rien sur le coup, occupée à se demander par quoi commencer. Peut-être que Nidhögg refusait ce genre de soins, ce qui était normal venant de la part d'un solitaire. Mais la Céleste se devait d'aider les blessés. Aussi, elle posa délicatement son museau sur le ventre du dragon qui s'était allongé sur le flanc. Elle ferma les yeux. Heureusement que le soleil était là pour l'aider. Un léger flux de pouvoir guérisseur passa entre elle et le grand mâle, réparant la peau et les écailles abîmées. Un tour d'esprit dans les entrailles de Nidhögg montra que celles-ci n'avaient pas de graves blessures, et Dragora décida que la nature pût s'occuper du reste. Elle releva le museau et observa son "patient" avec douceur.

La dragonne soupira en esquissant un très léger sourire.

"Il est difficile de réfléchir par les temps qui courent."

Elle se redressa pour s'asseoir, sans quitter le dragon vert du regard.

"Te sens-tu vraiment prêt à quitter tes libertés pour vivre aux côtés du Clan du Ciel ?" demanda-t-elle. "Ça me ferait de la peine de t'infliger une si lourde perte... Cela doit faire si longtemps que tu vis ainsi... Je ne voudrais pas te retirer ce bonheur."

En elle-même, elle se disait que les membres du clan n'accepteraient pas non plus. Que ferait-elle si le dragon insistait ? Elle l'appréciait, mais connaissait son passé ainsi que sa réputation, et estimait qu'il serait dangereux pour elle et son honneur d'inviter un tel solitaire dans les rangs des Célestes...

Il avait la bouche pâteuse. C'était désagréable au possible. Il ne broncha pas lorsqu'elle le toucha du bout du museau. Il aimait bien ce contact, et si la surprise titilla son esprit en voyant ses plaies se guérir d'elle même, il était trop fatigué pour l'afficher. D'autant plus qu'elle prenait son temps pour répondre. Découvrir le pouvoir de Dragora était assez intéressant pour qu'il ne ressente rien d'autre qu'une pointe de curiosité, relevant une énième fois la tête pour la regarder, les yeux fermer, agir. En vérité, ce pouvoir lui allait bien. Il lui était même destiné. Un autre l'aurait étonné plus qu'autre chose.
Quelqu'un d'aussi délicat et doux, dont l'apparence même rappelé les fragiles orchidées, beautés végétale des pays chaud, pouvait-il avoir un pouvoir capable de détruire ? Il en doutait fortement. Il était libre et il avait le vent pour lui, et il se sentait complet ainsi.
Du moins, plus depuis quelques temps. Seule une frustration totale l'avait envahit. Si son corps avait perdu toutes ses blessures superficielle, il restait un poison bouillonnant dans ses entrailles, qui le prenait à la gorge. Et il ne parlait pas du venin de la Chimtère. Lui aussi finirait par disparaître, emportant avec lui fièvre, délire, douleur, tremblement. et il ne resterait qu'une lucidité par moment exécrable.

Il maîtrisa une envie de tousser, pour l'écouter parler d'un œil morne. Elle ne voulait pas de lui, ça se sentait. Pourquoi était-il autant frustré ? A nouveau, l'envie de partir le saisit. Au lieu de quoi, il s'avança légèrement vers l'eau et commença à boire. C'était fou combien cela était plaisant. Tellement plus que d'ordinaire. Cela lui permit aussi, l'espace d'un instant, d'avoir l'esprit plus claire.

"- Le bonheur... Qui peut se vanter de l'avoir vraiment attrapé." Il inspira fortement et souffla par les naseaux, en un profond soupir. "- Ce n'est qu'éphémère. Je suis solitaire depuis ma plus tendre enfance. Je ne suis jamais... *Toux* entré dans un clan bien que je les aient côtoyé plusieurs fois. Si je t'ai fait... Cette proposition, c'est un choix conscient, et réfléchit, auquel je saurais me tenir, ne serait-ce que par fierté. Je ne suis pas qu'une brute épaisse."

Il déglutit, essayant de faire passer l'impression d'avoir la bouche emplie d'une pâte collante. Il ne bougeait plus vraiment, se contentant de fixer d'un œil calme Dragora. Il n'était plus un jeune dragon, il savait repérer certaines sensations, émotions.... Et il savait très bien décrypter les signaux de son corps. Qu'il le veuille ou non, il c'est bien trop attaché à Dragora pour la laisser filer ainsi, malgré des années à refuser tout contact émotionnel avec les autres de sa races... A cause de ces années aussi. Il cracha loin d'elle le contenu de sa gorge, puis reposa son regard sur elle.
Elle n'avait pas l'air convaincue, il ne voyait pas d'étincelle dans le regard claire désirant le voir insister. Il compris qu'il était en train de perdre la partie, et il ferma un instant les yeux.

"- Mais quelque soit ton choix, je le respecterais. Et si tu préfère me voir disparaître de ton horizon, soit. Ton clan et toi n'entendront plus jamais parler de moi."

Il essaya de maîtriser ses tremblements. Vraiment, ce n'était pas le bon moment pour parler de ça. le voila qui se laissait aller à ses sentiments et à des promesses vaines. Qu'il respecterait, en grand imbécile qu'il était.

Après les soins portés par la dragonne, Nidhögg s'avança vers l'eau et en lapa goulûment de longues gorgées. Beaucoup d'eau était nécessaire aux victimes du venin de Chimtère, Dragora se souvint. 
Le dragon vert prononça quelques paroles. Un choix réfléchi ? S'il lui disait ça, cela signifiait qu'il comptait encore se faire accepter. La dragonne blanche ne se sentit pas bien à l'aise. Ce fut alors qu'elle comprit qu'elle ne ne pouvait pas admettre Nidhögg dans le clan. Sa volonté et sa raison lui en empêchaient...

Ni l'un, ni l'autre dragon ne bougeait. Le grand mâle était en train d'examiner le regard, la posture et le comportement de la dragonne blanche. Celle-ci comprit qu'il se rendait compte de la réticence qu'elle avait à l'accepter chez les Célestes. Une grande question faisait battre son cœur à toute allure : quelle serait sa réaction ? Nidhögg déciderait-il d'abandonner la partie ? de fuir ? se mettrait-il en colère, par jalousie, ou simplement par orgueil ?

Dragora sentit un sentiment d'abandon passer au travers des yeux du dragon vert. Elle fut soulagée malgré elle, car cela signifiait qu'il n'allait pas trop insister pour entrer dans les rangs de son clan. C'était une bonne chose. Elle ne voulait pas chercher à le raisonner, à doucement lui faire comprendre qu'elle refusait sa proposition, alors qu'il croyait dur comme fer à sa décision. Heureusement il comprit tout seul que c'était peine perdue.
C'était donc le moment de lui dire ce qu'elle avait sur le cœur. 

"Nidhögg," souffla-t-elle. "Ta place n'est pas dans un clan, ni dans le mien, ni dans un autre. Tu es né pour la liberté. Tu maîtrises le vent, après tout, c'est un signe qui ne trompe pas."

Elle prit une inspiration, le temps de mesurer ses paroles pour que le grand mâle comprît ses intentions sans se vexer.

"Ne pense pas que ce que je te dis-là est une lettre de rupture. Je décline ta proposition, pour ton bien, pour le mien et celui des Célestes. Sache que c'est comme un ami que je te considère, et que je refuserai de te voir dans le même état que comme je t'ai trouvé aujourd'hui. Nous nous reverrons, ne t'inquiète pas..."

Elle fit de nouveau une pause, et comme une ultime caresse, elle lui fit une petite lèche sur le bout du museau.

"D'ici-là, porte-toi bien."

Puis elle redressa le cou pour observer le grand mâle, un regard extrêmement doux, calme et attentionné dans l'oeil, comme une mère dragonne observe son petit.

La réponse de Dragora ne lui plût pas du tout. A peine eut-elle commencé qu'il cessa de l'écouter, fixant devant lui avec l'envie de vomir. Autant le poison que les paroles lui donnaient la nausée, fade, abrupte, inutile et sans intérêt. Comment pouvait-on lui dire ça, à lui ? Il n'était pas stupide, et savait très bien ce que tout ce charabia signifiait. Elle avait beau lui assurer qu'il ne s'agissait pas la d'une lettre de rupture, mais c'était tout comme, voir même pire, du moins selon lui. La frustration ne lui permit pas de répondre, tandis qu'il serrait les crocs et ne se décrispa pas lorsqu'il sentit la caresse sur son museau, ne daignant même pas réagir, ni même la regarder.
En lui, tout bouillonnait. Devait-il se mettre en colère ? Pleurer ? Geindre et supplier ? Hors de question. Il ne voulait montrer plus sa violence, qui, sans être tout à fait naturelle, avait toujours fait partie de sa vie. Il n’avait jamais pleuré, ni supplié devant qui que ce soit, sauf ses parents qui lui avait fait comprendre à coup de croc que cela était inutile. Il ne le ferait pas devant Dragora, par principe, par fierté, et aussi parce qu’il savait pertinemment que cela était tout à fait futile.

Mais la fureur l’habitait quand même, une frustration qui lui rongeait les entrailles, plus douloureuse encore que le feu qui s’était emparé de son corps. Il lui semblait qu’un incendie rugissait et dévastait tout dans son crâne. Il cracha un mélange de bile ensanglantée, et décida que rester allongé était tout bonnement insupportable. Il se redressa brusquement, sans se levé. Il resta ainsi quelques secondes, histoire que le monde autour de lui se stabilise. L’eau l’attirait, mais, curieusement, il ne voulait pas ressentir les bienfaits qu’elle pouvait lui apporter.

« - A quoi bon. » Marmonna-t-il sans s’en rendre compte.

Puis, une patte après l’autre, fermement, il se releva. Elle pouvait bien tenter de l’en empêcher, il restait suffisamment fort, suffisamment teigneux pour lui résister. Et puis si elle était guérisseuse, elle comprendrait bien que tenter de l’empêcher aggraverait les choses.
Et contrairement au début, lui plaire ne l’intéressait plus. Alors il ne l’écouterait plus non plus. Elle lui avait clairement fait comprendre et entendre ce qu’il avait redouté. Rester amis… Dans son langage à lui, cela signifiait ne plus jamais se revoir. Surtout qu’elle n’avait pas l’intention de lui ouvrir une place dans son clan, sous une raison bien pratique mais Oh combien faussée. Sa liberté, oui, il y tenait. Mais avait-elle réellement réfléchit à ce qu’il avait, ce qu’il pouvait préférer à cela ?

Mais elle n’avait pas hésité, et il se traina sous le couvert d’un arbre, les mâchoires résolument serrées. Il ne répondrait pas à ça, il s’y refusait. Les caresses, les mots doux, le regard qu’il avait entraperçu sans vraiment y faire attention, tout cela, elle pouvait bien le réserver pour son clan. Il était fier, sans doute un peu trop, et en cet instant, il se sentait blessé. Il prit même soin de s’asseoir comme s’il était dans son état normal, puis de s’allonger, toujours avec lenteur, mais avec la même élégance qu’il avait montré lors de leurs premiers rendez-vous. Mais toujours, il gardait cette attitude renfermée, dure.
Et puis, il entrouvrit son aile et passa sa tête en dessous, comme il l’aurait fait pour se protéger du soleil, ou pour ne plus rien montrer de ce qu’il pouvait ressentir. Pour s’isoler autant qu’il le pourrait.

Nidhögg se comporta de la manière que Dragora redoutait le plus. Qu'il l'attaquât aurait peut-être été moins pire. Il se taisait, grinçait des crocs, refusait de lui jeter un seul regard. Cela la choqua, même si elle savait qu'elle devait s'y attendre. Elle était désolée, triste jusqu'au fond de son âme d'avoir sans l'avoir vraiment voulu déchiré le cœur d'un solitaire que tous craignaient...
Pourtant, avant de voir sa réaction, elle avait un espoir qu'il la comprît. Elle se disait qu'il était possible qu'il hochât la tête, lui lançât un regard compréhensif, pour lui faire entendre qu'il respectait la décision et savait qu'elle était bonne - ou du moins faisait semblant.

Mais ce ne fut pas le cas, les yeux de Nidhögg étaient voilés par de la frustration, de la déception aussi probablement ; et Dragora s'obligea à s'éloigner de quelques pas du dragon vert pour cacher son embarras profond. Elle voulait aussi lui laisser un peu de place pour aller boire s'il le voulait, mais il n'y alla pas, et se redressa pour se réfugier sous un arbre, à l'ombre de son aile, après avoir marmonné une parole que la dragonne n'entendit pas.

Cette dernière se demanda si elle avait fait une erreur. Devait-elle revenir en arrière, lui ouvrir une place dans le Clan du Ciel, et lui avouer qu'elle avait changé d'avis ? C'était pitoyable comme manière de réparer les choses ; et de toute façon, il était trop tard pour reculer, elle s'en doutait. La fierté et la conscience du grand mâle avaient été touchées et ce genre de blessures, personne, ni même Dragora n'était capable de les guérir.

Visiblement, le dragon vert ne s'intéressait plus à elle. Sa passion initiale avait été remplacée par - par quoi au juste ? De la tristesse, de la déception, de la haine peut-être ?
Probablement un peu de tout, ce que la Céleste préféra ne pas imaginer.

*Bon sang, n'y a-t-il vraiment rien que je puisse faire ?*

Elle envisagea de partir et abandonner Nidhögg à son sort et ses pensées. Il était possible que c'était ce qu'il attendait d'elle en cet instant-même, mais il était aussi possible que ce ne fût pas le cas. La dragonne savait que ce n'était de toute façon pas des excuses qu'il voulait.
Du calme. Il lui fallait du calme. Dragora se résolut alors à penser comme lui, à rester calme. Elle s'allongea là où elle était, dans le sable, le regard doucement posé sur le grand mâle vert qui se cachait sous son aile.
Il ne fallait pas parler. Il ne l'écouterait pas. Il fallait attendre que l'émotion retombât. Même si cela devait prendre tout le jour. Après, peut-être qu'un échange de paroles était envisageable.

Il ne désirait pas sa présence. A vrais dire, il ne désirait pas non plus qu'elle s'en aille. Il ne fallait pas qu'elle s'en aille, et, pourtant, il gardait sa tête sous son aile, déterminé à ne pas céder à cette curiosité brûlante qui lui cuisait les entrailles. Il avait toujours peur, et avait toujours répondu à la peur par plus de haine, plus de colère. Il avait combattu jusqu'à ce que toute source de peur soit éradiqué. Mais que faire quand la peur venait de lui même ? Que faire lorsqu'elle venait sous la forme d'une dragonne au blanc de nacre, joyaux de pureté qu'il ne pouvait pas consciemment détruire ?
Ses pensées commencèrent à perdre de leur cohérence. Un mélange de tristesse et de colère se déchainait en lui, bientôt remplacé par une souffrance sans nom. Il lui semblait que ses os étaient de verre, et que le moindre choc pouvait les briser, chaque son les faisant douloureusement vibrer. Son corps n'était qu'une masse indistincte, se convulsant alors que ses veines étaient en feu. Il avait l'impression que ses muscles étaient tendus à l'extrême, comme s'il avait marché des journées entières. Il perdit toute tenue et s'allongea de tout son long, tremblant, ses écailles légèrement dressée comme le poil d'un chat, cherchant la fraicheur alors qu'il était brûlant. Il laissa de long gémissement lui échapper, sourd, aveugle à ce qui l'entourait. Ses pensées étaient difformes, incomplète, incompréhensible. Pourtant, un doute subsistait, un léger éclat, dernière source de lucidité dans l'enfer qui le tourmenté.
Il passa la nuit ainsi, comateux, ne se préoccupant plus du monde et de Dragora, sourd, aveugle, ou du moins le semblait-il. Il chercha par deux fois à se redresser, mais ne fit que vomir. Il lança de nombreux gémissement, et même des pleurs, incapable de savoir ou de comprendre si Dragora était encore la, ou si la solitude était devenue, à nouveau, sa seule confidente. Il pleura ses parents, et aussi ses frères est soeurs qu'il n'avait jamais revu. Il pleura sur ce qui l'entourait et qui se dégradait, ou il était perdu et incompris. Il pleura sur Dragora, murmurant des choses qu'elle n'aurait put comprendre que près de lui. Ses lamentations ne reçurent pas d'échos et n'en demandait pas, et ses délires l'amenaient a bégayer des choses inintéressante, Puis, il sombra dans un profond sommeil.

Lorsqu'il se réveilla, l'aube se levait à peine. Il ouvrit une paupière, se trouva aveuglé par la luminosité pourtant faible. Il soupira, essayant de se rappeler exactement ce qu'il avait dit. Il voyait le ciel et les feuillages, mais il referma bientôt la paupière. Il entendait. Il voyait. Tout fonctionnait et pourtant, il préférait rester allongé, immobile, le souffle régulier. Se souvenir... Se rappeler... Mais tout était obscure, et seul lui restait la certitude amer qu'il avait tout perdu. Il resta encore allongé, mimant le sommeil, tandis qu'il se rappelait quelques brides de conversation.

"- Dragora ?" Souffla-t-il, espérant l'entendre avant même de la voir, espérant qu'il n'était pas seul.

Quelle absurdité. Vraiment. Tout cela était absurde. Il était absurde. Et pourtant, malgré cette conviction profonde, il se sentait comme un dragonnet a qui on avait retiré avant même de pouvoir en profiter son nouveau jouet. Il n'avait pas put profiter de la douceur de la dragonne, de son museau et de son corps, ni même savouré son odeur et son élégance. Il n'avait pas gouté ce qui faisait son quotidien, ses envies, ses espoirs...
Il aurait voulut secouer la tête pour chasser ces pensées, mais n'osait pas bougé son corps au cœur meurtri.